Publié le 19-10-2014 • Modifié le 19-10-2014 à 05:13
Les
 services néerlandais d'immigration et de naturalisation (IND) ont 
signifié dans une lettre à Lin Muyizere, le mari de l'opposante Victoire
 Ingabire, qu'ils allaient lui retirer son passeport néerlandais 
l’accusant d’avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda. A l’origine 
de l’enquête administrative : son témoignage lors d’un des premiers 
procès du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). Or Lin 
Muyizere était sous protection de la cour onusienne et son témoignage 
était censé resté confidentiel.
« Je n'en ai jamais parlé à personne, parce qu'on m'avait dit de ne jamais en parler », explique Lin Muyizere. « Je suis très surpris et choqué que son identité ait été dévoilée »,
 s'insurge Nicolas Tiangaye, à l'époque l'un des deux avocats de la 
défense de Jean-Paul Akayesu, qui a demandé à Lin Muyizere de témoigner.
 L'ancien Premier ministre centrafricain est formel : c'est illégal, 
mais aussi dangereux. « On met en danger la vie de ces gens-là, dit-il encore. Ca risque de décourager beaucoup de témoins dans les procédures internationales. »
 Tous les experts en droit international interrogés par RFI s’inquiètent
 aujourd’hui de voir remis en cause les fondements mêmes de la justice 
internationale.
Suspect à cause de son témoignage au TPIR
En
 2010, alors que sa femme vient tout juste de rentrer au pays pour 
participer à la présidentielle, les services d’immigration néerlandais 
décident de lancer une enquête administrative. Motif de suspicion : Lin 
Muyizere a été témoin de la défense lors de l’un des premiers procès du 
TPIR, celui de Jean-Paul Akayesu. C’est ce qu’il apprend dans une lettre
 des services néerlandais d'immigration et de naturalisation (IND) datée
 du 24 septembre 2014. « C'est scandaleux ! », s'insurge un avocat travaillant avec les juridictions internationales. « C'est
 justement pour éviter ce type de représailles que les cours 
internationales de justice garantissent l'anonymat des témoins », explique encore ce juriste. 
Lin
 Muyizere n’a jamais été accusé par les Gacacas, les tribunaux 
populaires qui pendant plus de 10 ans ont jugé les crimes de génocide au
 Rwanda, ni même par le TPIR, le tribunal international mis en place par
 l’ONU. Le porte-parole du parquet rwandais le confirme encore 
aujourd’hui : Kigali n’a aucun dossier sur lui. Et pourtant le mari de 
Victoire Ingabire se retrouve accusé de génocide par les services 
d’immigration néerlandais. C’est par l’intermédiaire du ministère 
néerlandais des Affaires étrangères et de l’ambassade à Kigali que l’IND
 a commandité une enquête en 2010 sur Lin Muyizere, l’année où son 
épouse de retour au Rwanda est arrêtée avant même l’élection 
présidentielle à laquelle elle s’était promis de participer.
Accusé de génocide par l’immigration
« Les
 Pays-Bas ne sont pas les seuls à utiliser ces méthodes (expulsion, 
refus de visa, retrait de nationalité) dans des cas où existent des 
soupçons d'implication dans des crimes graves », explique un 
défenseur des droits de l’homme, ajoutant que c’était aussi le cas au 
Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis. « L'idée
 pour ces Etats est d'utiliser les méthodes liées à l'immigration quand 
ils n'ont pas de preuves suffisantes pour organiser un procès pénal sur 
le fonds », poursuit-il, notant que le niveau de preuves requis 
était parfois tellement bas que ces procédures en devenaient injustes. 
« On se demande parfois pourquoi on a inventé les cours internationales de justice,s’offusque un avocat, quand certaines administrations se permettent d’accuser de génocide ou de crimes contre l’humanité sur la base de on-dit. »
Trois
 sources anonymes au Rwanda ont accusé Lin Muyizere d’avoir porté une 
arme en 1994, d’avoir été vu parmi les tueurs ou même d’avoir commandité
 un assassinat. L’enquêteur rwandais mandaté par les Pays-Bas note 
toutefois ne pas avoir pu confirmer l’existence ou même la mort de celui
 censé être la victime de Lin Muyizere. Celui-ci risque aujourd’hui de 
perdre non seulement sa nationalité mais aussi d’être expulsé vers le 
Rwanda. Selon son avocat, c’est à lui de prouver son innocence face à 
ces accusations. Le ministère néerlandais de la Justice précise que ses 
soupçons sont sérieux mais que tout individu menacé d'expulsion par les 
services d'immigration peut toujours faire appel et que son cas sera 
examiné devant une cour de justice.
L’origine de la fuite
Comment
 les services d'immigration ont-ils su que Lin Muyizere était l'un des 
témoins de la défense dans le cadre de ce procès ? Interrogé sur ce 
point, le ministère de la Justice aux Pays-Bas dit ne pas pouvoir 
discuter d'un cas individuel. La Haye se refuse également à expliquer 
pourquoi être témoin de la défense devant une cour de justice 
internationale est un motif de soupçon suffisant pour déclencher une 
enquête administrative, ou même si ses services d’immigration ont 
légalement le droit de violer la confidentialité d’un témoignage garanti
 par le TPIR.
« Il
 n'est pas impossible que les autorités néerlandaises l'aient appris 
pour des raisons de sécurité alors qu'il est allé témoigner à Arusha »,
 estime un expert sur le TPIR, sans pour autant comprendre pourquoi 
l'information a été transmise aux services d'immigration. Ce procès 
s'est ouvert sur le fond en 1997, et Jean-Paul Akayesu a été condamné en
 première instance l'année suivante. Alors, pourquoi La Haye aurait 
attendu 2010 pour mandater un enquêteur au Rwanda et notamment sur ses 
liens avec l'accusé si, comme le précisent les services d'immigration 
néerlandais, c'est un motif de suspicion ?
Du
 côté du TPIR, qui est pourtant le principal garant de l'anonymat de ses
 témoins, on s'en lave les mains, estimant qu'il s'agit d'une affaire 
intérieure à un Etat. « Il
 y a toujours eu des fuites au TPIR, on savait notamment que le Rwanda 
avait eu accès à l'identité des témoins sur de nombreux procès », précise encore l'expert sur cette cour de justice onusienne.
Kigali dément toute implication
Kigali dément toute implication
Le
 Rwanda n'a rien à voir avec les procédures lancées par les services 
d'immigration néerlandais et n'a d'ailleurs aucun dossier contre les 
individus accusés de génocide par La Haye, assure le porte-parole du 
parquet rwandais, Alain- Bernard Mukurarinda. Le ministre néerlandais de
 la Justice explique de son côté que dans les cas de demande d'asile, 
les services d'immigration ne sont jamais en contact avec les pays 
d'origine, tendant ainsi à confirmer la version de Kigali. 
Lin
 Muyizere n’est pas le seul détracteur concerné par cette procédure 
administrative. Un autre opposant rwandais, Joseph Mugenzi, est lui 
aussi accusé de génocide par les services d’immigration néerlandais. Son
 fils, René Mugenzi, un activiste rwandais des droits de l’Homme en exil
 était en 2011 dans le collimateur de Kigali. Scotland Yard, la célèbre 
police londonienne, avait affirmé que le gouvernement rwandais cherchait
 à l’assassiner. L’information avait été démentie par l’ambassadeur 
rwandais en Grande-Bretagne.
Accusations mensongères?
Lin
 Muyizere et Joseph Mugenzi sont aujourd’hui menacés d’être expulsés 
vers Kigali, comme ce fut le cas lundi pour Jean Gervais Munyaneza, un 
autre Rwandais accusé de la même manière et reconduit par des policiers 
néerlandais au Rwanda. A son arrivée à Kigali, l’homme n’a toutefois pas
 été arrêté puisque, selon le parquet rwandais, il n’y a aucun dossier 
contre lui.
Pour
 ces opposants rwandais comme pour leur avocat, les accusations portées 
l’IND sont mensongères. Selon eux, La Haye serait instrumentalisée par 
Kigali pour poursuivre la politique de répression contre les opposants 
rwandais. Victoire Ingabire, la femme de Lin Muyizere, a été condamnée à
 15 ans de prison pour minimisation du génocide, propagation de rumeurs 
et conspiration contre les autorités. Ce procès, auquel la justice 
néerlandaise a collaboré, a été très critiqué par les organisations de 
défense des droits de l'homme. Victoire Ingabire vient de porter plainte
 devant la Cour africaine des droits de l'homme.
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