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lundi 5 janvier 2015
lundi 5 janvier 2015
Source: RD Congo – FDLR : Une guerre pour relancer le chaos ?
C’est avec une certaine résignation qu’on assiste
aux prémices d’une nouvelle opération d’envergure dans l’Est du Congo,
officiellement pour mener la traque aux rebelles hutus rwandais des
FDLR. L’opération, bien évidemment, va générer de nouveaux drames
individuels et collectifs dont le Congo, pour une fois, se serait bien
passé. En effet, rares sont les voix qui osent assumer le fait qu’une
action militaire contre les FDLR, à ce jour, n’est ni indispensable, ni
porteuse de solutions durables au problème que pose leur présence, qu’il
ne s’agit nullement de cautionner, par ailleurs. En réalité, les
autorités de Kinshasa et la Monusco vont mener cette opération pour « se conformer »aux pressions du président rwandais Paul Kagame, qui menaçait d’envoyer, à nouveau, ses troupes dans l’Est du Congo.
Du coup, les responsables onusiens versent dans la rhétorique
guerrière, tandis qu’un climat anxiogène est entretenu dans les médias,
comme d’habitude, pour préparer les esprits à « accepter » les atrocités qui vont être commises. C’est ainsi que le samedi 3 janvier, le général Abdallah Wafy[1] de la Monusco, a affirmé que l’opération militaire va débuter « à tout moment »[2].
Même son de cloche du côté du général Charles Bisengimana, le numéro 1
de la police nationale congolaise, qui a effectué le déplacement de
Goma, officiellement pour organiser la sécurisation des populations au
cours des l’« opération qui va commencer ». La veille, les envoyés spéciaux[3] de la « communauté internationale » affirmaient dans un communiqué conjoint qu’« il n'y a pas d'autre choix que de mettre en œuvre l'option militaire »[4]. Bref, il va y avoir une guerre, une de plus, avec les mêmes populations pour cible.
Il est pourtant encore possible d’avoir un peu de lucidité et de
faire remarquer que, face aux drames que génèrent des actions
militaires, la menace que représente l’ennemi à combattre doit être
suffisamment importante. A ce jour, aucune menace immédiate des FDLR,
pour la sécurité du Rwanda, ne justifie l’empressement à faire usage de
la force. Par ailleurs, vis-à-vis du Congo, les FDLR font plutôt profil
bas depuis la défaite de leurs adversaires du M23 en novembre 2013.
Parallèlement, ils continuent de réclamer un dialogue avec le pouvoir de Kigali
pour faciliter leur retour dans leur pays, seule solution durable à la
crise. C’est aussi l’idée qu’avait proposé le président tanzanien Jakaya
Kikwete en mai 2013 mais que les partisans d’une option militaire font
tout pour occulter. Pourtant, on voit mal quelle solution miracle
produirait l’opération en cours de préparation sachant que, par le
passé, les tentatives visant à neutraliser militairement ces maquisards
avaient toutes échoué et engendré des drames humanitaires qui minaient
pour longtemps les chances d’une paix durable dans la région.
Il faudra ainsi que les gens qui s’apprêtent à provoquer de nouveaux
carnages dans le Kivu soient amenés à en assumer la responsabilité
demain, sachant que cette option militaire ne s’imposait nullement. Par
ailleurs, nous ne devrions pas perdre de vue un certain nombre de
données de la problématique des FDLR qui peuvent s’articuler autour des
quatre points ci-après :
1. Les FDLR ne sont pas une armée classique. On parle en réalité de
groupes de familles hutues. Au premier coup de feu, on est à peu près
sûr de tuer ou de blesser une femme, un enfant, un malade,… (des cibles non militaires).
Les quelques combattants qui essaient de protéger leurs familles se
déplacent, bien entendu, entourés de ces familles. Déclencher une
opération militaire contre les FDLR signifie aller commettre des
massacres, et il ne saurait en être autrement. Sachant qu’on ne devrait
recourir à l’option militaire que lorsque toutes les autres sont
épuisées, il faudrait que les « va-t-en-guerre » qui appellent à
des actions militaires contre les FDLR promettent d’assumer
individuellement les massacres et, inévitablement, les viols et les
saccages qui vont être commis en marge de l’opération qui se profile.
2. Les FDLR sont au maximum une force de 1.300 individus mal équipés,
et qui, de l’aveu même des autorités rwandaises, ne représentent plus
une menace sérieuse pour le régime de Kigali, dont l’armée est décrite
comme la plus grande de la région, en termes d’effectifs[5]. Les membres des FDLR ont commencé à désarmer et ont accepté d’être regroupés (à Kisangani notamment) dans
la perspective de leur retour au Rwanda ou leur installation dans un
pays tiers. Nous sommes en face d’un mouvement affaibli et dont les
membres n’envisagent plus de l’emporter militairement, ce dont on peut
se rendre compte en lisant leur lettre au Secrétaire général de l’ONU.
Déclencher une opération militaire pousserait ceux qui n’ont pas encore
désarmé à se radicaliser, tandis que ceux qui l’ont déjà fait seraient
amenés à reprendre les armes pour voler au secours de leurs camarades.
Les chances d’un règlement pacifique de la crise deviendraient minces
pour longtemps.
3. L’armée congolaise (FARDC), même appuyée par les
contingents de la Monusco, n’est pas en situation de venir à bout des
FDLR. La dernière fois qu’elle a tenté de neutraliser les FDLR ce fut un
fiasco monumental. Les opérations Umoja wetu[6], Kimia II[7] et Amani leo[8]
ont toutes été des échecs et ont démontré les difficultés qu’il y a à
venir à bout de maquisards qui maitrisent parfaitement le terrain et
évitent de se battre. C’étaient des mouvements de va-et-vient. Les FDLR
et leurs dépendants se délocalisaient devant l’avancée de l’armée pour
s’enfoncer dans des zones difficiles d’accès. Les troupes engagées dans
les opérations s’épuisaient à la marche. Elles se sont retirées des
zones opérationnelles que les FDLR ont réoccupées par la suite[9].
4. La guerre en République Démocratique du Congo, quels que soient
les motifs officiels avancés, est toujours l’occasion d’un accaparement
des ressources minières. Le Rwanda qui fait pression sur l’ONU, pour que
l’opération contre les FDLR soit menée, évite soigneusement d’évoquer
la question du coltan et les bénéfices que de nouveaux troubles dans
l’Est du Congo devraient lui procurer[10].
Pour rappel, le Rwanda est devenu le principal exportateur mondial de
tantale/coltan, avec 28 % du total de la production mondiale[11], un minerai qu’il siphonne
dans l’Est du Congo en y entretenant la guerre en permanence. Si la
paix revient dans l’Est du Congo, le Congo, conformément à la loi
Dodd-Frank[12], exporterait lui-même l’essentiel de ses minerais estampillés « non conflict », ce qui pourrait ruiner l’économie rwandaise du jour au lendemain.
Le président rwandais sait, par avance, que les opérations contre les
FDLR vont échouer, mais qu’elles vont générer des désordres dans le
Kivu. En marge de ces désordres, des groupes armés proches du pouvoir de
Kigali, et même certaines unités des FARDC liées au pouvoir rwandais
vont relancer la contrebande des minerais à la frontière. Plus
stratégique, Kagame sait que Joseph Kabila, son allié à Kinshasa[13],
ne sait plus comment légitimer son maintien au pouvoir au-delà de la
limite constitutionnelle de 2016, les Congolais ayant refusé toute idée
de révision de la Constitution. Relancer la guerre dans l’Est du Congo
offrirait à Kabila une opportunité en or pour légitimer son maintien au pouvoir.
Toutes ces données sont supposées être connues des responsables de l’ONU, des dirigeants américains, des pays de la SADC et de la CIRGL. Ils sont pourtant au point de cautionner une opération dont tout indique qu’elle participe de la stratégie du chaos.
Boniface MUSAVULI
[1] Abdallah Wafy : Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’Onu en RDC chargé des opérations dans l’Est du Congo.
[2] « RDC : les opérations militaires contre les FDLR vont débuter « à tout moment », selon le général Wafy », radiookapi.net, 3 janvier 2015.
[3]
Il s’agit, en l’occurrence, de l'Envoyé spécial de l'ONU pour la région
des Grands Lacs, Saïd Djinnit, le Représentant spécial de l'ONU en RDC,
Martin Kobler, le Représentant spécial de l'Union africaine pour la
région des Grands Lacs, Boubacar Diarra, le Coordinateur principal de
l'Union européenne pour la région des Grands Lacs, Koen Vervaeke,
l'Envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs et la
RDC, Russell D. Feingold, et l'Envoyé spécial de la Belgique pour la
région des Grands Lacs, Frank de Coninck.
[4] « RDC : l'ONU et ses partenaires appellent à agir militairement contre les FDLR », Centre d’actualité de l’ONU, 2 janvier 2015.
[5] DESC estime qu’en considérant le nombre de ses généraux (une centaine) les effectifs de l’armée du Rwanda dépasseraient ceux des pays voisins pourtant plus étendus et plus peuplés. Cf. JJ. Wondo, « Le vrai visage du FPR, l’« Armée Sans Frontières » de Kagame »,
desc-wondo.org, 27 août 2014. Dans une armée classique, un général est à
la tête d’une brigade. Les effectifs d’une brigade de l’infanterie vont
de 3.000 à 5.000 hommes.
[6] L’Opération Umoja wetu fut menée par une coalition formée des RDF (armée rwandaise) et des FARDC (armée congolaise)
en janvier – mars 2009. Non seulement, elle ne permit pas de
neutraliser les FDLR, mais elle permit au Rwanda de faire entrer des
milliers de ses soldats sur le territoire congolais. Plus de 12 milles
soldats rwandais disparurent dans la nature. Cf. P. Mbeko, H. Ngbanda, Stratégie du chaos et du mensonge – poker menteur en Afrique des Grands lacs, Ed. de l’Erablière, 2014, p. 498.
[7] L’Opération Kimia II fut lancée dans la foulée de l’Opération Umoja wetu.
Elle fut dirigée, de fait, par le général tutsi Bosco Ntaganda, selon
les experts de l’ONU. Elle sera l’occasion de tueries à grande échelle
des populations (hutues et congolaises) sans pour autant
parvenir à démanteler les structures des FDLR, restées intactes, selon
le Rapport de décembre 2009 de l’ONG américaine Human Rights Watch
(HRW).
[8] L’Opération Amani leo
est lancée en janvier 2010 pour une durée initiale de trois mois. Elle
traînera en longueurs, les haut-gradés de l’armée ayant sombré dans des
trafics en tous genres. L’Opération va définitivement s’enliser avec le
déclenchement de la Guerre du M23 en avril 2012. Les trois opérations
furent l’occasion pour le Rwanda et l’Ouganda, avec la complicité de
Kinshasa, de relancer les réseaux de trafics de minerais qu’ils avaient
mis en place durant la longue occupation de l’Est du Congo (1998 – 2003). Les objectifs militaires, brandis dans les discours officiels, étaient des leurres.
[9] Après le départ des troupes gouvernementales, les FDLR s’en prenaient à la population pour la « punir » d’avoir collaboré avec les forces qui les poursuivaient. Cf. Rapport HRW, « Vous serez punis - Attaques contre les civils dans l’Est du Congo », 14 décembre 2009.
[10] Il est établi, depuis le Rapport Kassem sur le pillage du Congo, que les FDLR (les vrais et les faux)
sont un prétexte dont se servent le régime de Kigali et ses alliés pour
légitimer la mainmise rwandaise sur l’Est du Congo. Cf. Rapport
S/2002/1146 des experts de l’ONU du 16 octobre 2002, p. 16.
[11] “Rwanda Has Become World's Largest Coltan Exporter, Reports KT Press”, prnewswire.com, Dec. 16, 2014.
[12]
La loi Dodd-Frank a été adoptée par le Congrès américain le 12 juillet
2010. Concrètement, elle vise à empêcher la mise sur le marché de quatre
minerais en provenance du Congo au motif que ces minerais alimentent la
poursuite des conflits armés. (Le tantale/coltan, l’or, le diamant, l’étain et le tungstène).
Dans la pratique, cette loi prive le Congo de la capacité de vendre
directement ses minerais aussi longtemps que dureront les troubles dans
les régions minières de l’Est, une faille que le Rwanda et l’Ouganda
exploitent remarquablement. En provoquant des troubles en permanence
dans l’Est du Congo, les deux pays exportent les minerais pillés dans
l’Est du Congo en les faisant passer pour leurs productions nationales.
[13] Les présidents Kagame, Museveni et Kabila
forment un triumvirat qui orchestre la mise sous tutelle du Congo par
les milieux d’affaires anglo-américains et la Monusco, selon le dernier
ouvrage de l’analyste géopolitique Patrick Mbeko. Cf. P. Mbeko, H.
Ngbanda, Stratégie du chaos et du mensonge – poker menteur en Afrique des Grands lacs, Ed. de l’Erablière, 2014, pp. 407-516.
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