25 juin 2015 | Par Michel ROBARDEY - Mediapart.fr
Quelles que soient les suites qui lui seront données, que
l’individu soit remis ou non à la justice espagnole,
l’interpellation de Karenzi Karake à Heathrow samedi dernier
ramène en pleine lumière la question qui sous-tend depuis
vingt-cinq ans tous les débats, publics ou privés, judiciaires
ou médiatiques, sincères ou biaisés, traitant du drame
rwandais.
La sous-région des Grands Lacs écrit son histoire en lettres
de sang : chefs d’état burundais et rwandais
assassinés, alternance de massacres de masse des hutu au Burundi et
des tutsi au Rwanda, cadavres charroyés en nombre par la Nyabarango,
etc. Si chaque massacre se présente comme une réponse au
massacre précédent, on chercherait en vain le premier
d’entre eux. On se réfère trop souvent à la
révolution rwandaise de 59-60 puisqu’elle a chassé les
tutsi du pouvoir, alors que d’autres justifient cette marche
libératrice par les excès du pouvoir tutsi et évoquent,
entre autres, les trophées génitaux sanglants arrachés
aux cadavres encore chauds des roitelets hutu pour décorer le tambour
royal du mwami tutsi.
Chaque période de tension survenant dans l’un ou
l’autre de ces deux pays soulève les pires inquiétudes et
amène inévitablement l’exode de celui qui, à son
tour, craint d’être
« génocidé ». Cela n’avait pas
échappé aux militaires français de la Mission
d’Assistance Militaire auprès de la république Rwandaise
qui ont écrit dès les premiers jours d’octobre 1990 que
le conflit récemment ouvert à la frontière
ougando-rwandaise risquait d’entraîner « selon
toute vraisemblance l’élimination physique à
l’intérieur du pays des Tutsis, 500 000 à 700 000
personnes, par les Hutus, 7 millions d’individus...
”».
De fait, cette guerre de quatre années (1 octobre 1990- 4 juillet
1994) a connu une succession de massacres commis en alternance par les uns et
par les autres. Après les prémices des Bigogwe et de Kibilira,
des tutsi ont été massacrés dans le Bugesera au
printemps 1992 ; les hutu de Byumba ont connu le même sort
à l’été qui a suivi, puis ceux de Ruhengeri
n’ont pu trouver leur salut que dans la fuite en février
1993[1].
Et en 1994, les uns ont massacré les autres : les chiffres
avancés et généralement retenus sans aucune preuve de
800 000 victimes disent à eux seuls que tutsi et hutu se sont
rejoints dans la mort sinon dans la fuite.
La lecture manichéenne de ce conflit a été
imposée dès 1993 comme une vérité
première par des ONG prétendant veiller sur les droits de
l’homme[2]. Elle a
été largement reprise après 1994 par le clan des
vainqueurs et, hélas, trois fois hélas, sacralisé par le
TPIR[3].
Si le but initial des ONG de 1993 avait été de diaboliser le
« régime Habyarimana » et de faciliter
l’arrivée au pouvoir du FPR, leur démarche s’est
infléchie dès l’automne 1994, après la
rédaction du rapport Gersony[4], vers la
préservation de l’impunité du FPR et de Kagame,
indispensable à leur maintien au pouvoir. Dès lors, le dossier
rwandais a été défini par un ensemble
d’équations, toutes erronées et comportant par ailleurs
beaucoup d’inconnues :
1°) Tutsi = victime innocente
2°) hutu = génocidaire
3°) FPR = tutsi
Partant, la chasse au hutu a été ouverte en tous lieux et en
tous temps, avec un a priori définitif de culpabilité atavique
quel que soit l’âge, le sexe ou l’aptitude physique de
l’individu considéré. Les condamnations de hutu
prononcées par les Gaçaças, au nombre revendiqué
par Kigali de 1 200 000, expriment assez clairement que tout hutu à
peu près adulte en 1994 et survivant après la
« pacification » du pays par Kagame devait être
condamné. Devant les justices occidentales, on a vu proliférer
une kyrielle d’accusations portées contre les hutu exilés
par une association co-présidée par un membre de l’Akazu
de Kagame, apparentée aux plus hauts dignitaires du régime FPR,
et à autant de procès, tenus sans preuve matérielle
aucune et parfois sans victime ni ayant droit mais à grands renforts
de témoins missionnés par le gouvernement de Kigali. Ceux-ci
ont été salués de manière par trop
ostentatoire pour le « courage » dont ils faisaient
preuve en témoignant, afin probablement de mieux occulter les
contraintes auxquelles eux–mêmes et leur famille avaient
été soumis par leur commanditaire. Passons sur le TPIR et le
marchandage odieux employé par cette justice anglo-saxonne pour
obtenir les « aveux » d’un ancien premier
ministre.
Dans le même temps, et symétriquement, tout tutsi a
été considéré comme définitivement
innocent et victime, quels que soient les crimes qu’il avait pu
commettre. On a assisté à la forfaiture du procureur
près le TPIR Louise ARBOUR, contrainte de faire disparaître
l’attentat du 6 avril 1994 de la compétence du tribunal pour
mieux ignorer la culpabilité de Kagame dans ce crime
déclencheur du génocide.
Et, en France particulièrement, afin de mieux occulter les
massacres de hutu, ont été taxés de
« révisionnistes » tous ceux qui osaient
évoquer ces crimes. On brandissait alors l’argument
particulièrement pervers consistant à affirme que
« bien évidemment[5] » on
parlait des massacres de hutu pour mieux minorer la dimension du
génocide des tutsi. Il ne venait alors à personne
l’idée qu’on pouvait aussi exagérer les dimensions
du génocide des tutsi pour mieux occulter celui des hutu[6].
Nous en étions là en 2015 lorsque la BBC a publié
le documentaire Rwanda’s Untold Story que j’ai
déjà eu l’occasion d’évoquer[7]. La réponse
excessive de Kigali a cette émission a été celle du
criminel qui, soudainement découvert, réagit d’autant
plus mal qu’il croyait son impunité définitivement
assurée. Il est vrai qu’il avait payé assez cher pour
cela en « contrats de communication».
Ces manières de Kagame qui de son propre aveu confond
démocratie et kalachnikov avaient amené un avocat espagnol
à prendre la parole. Maître Jordi Palou-Loverdos
interviewé dans le numéro 65 -mai 2015 - d’Afrique
Réelle[8] indiquait :
« Je suis avocat de victimes espagnoles et rwandaises
….. je retrouve et partage certains témoignages contenus dans
le documentaire de la BBC….aspects peu connus du grand public, allant
au-delà des versions officielles, partielles et
intéressées portées par les vainqueurs des guerres en
Afrique centrale et ceux qui les soutiennent. …..
Les tribunaux espagnols ont reçu de nombreuses preuves
testimoniales, documentaires et autres concernant des crimes
soupçonnés commis par l’APR/FPR au Rwanda et en
République démocratique du Congo entre 1990 et 2000…
trois grandes catégories de crimes étroitement
liés :
a) Les crimes dont ont été victimes neuf
ressortissants espagnols, neuf missionnaires et coopérants …
qui furent, dans tous les cas, des témoins gênants des massacres
perpétrés contre les Hutu dans ces deux pays.
b) Les crimes commis contre des Rwandais et des Congolais …
contre divers dirigeants ou des attaques massives et systématiques
lancées contre plusieurs centaines de milliers de civils.
c) Enfin, les crimes de guerre dont le pillage …
systématique des ressources naturelles, en particulier des minerais
précieux et stratégiques.
L’enquête a mis en évidence que des crimes
à grande échelle ont été commis en Afrique
centrale avant, pendant et
après[9]
les massacres de la population tutsi perpétrés entre avril et
juillet 1994…:
- Le 1er octobre 1990, six bataillons et 2 400 hommes de
l’APR/FPR - avec l’appui militaire, logistique et politique de
l’Ouganda - ont envahi le nord du Rwanda, faisant d’innombrables
victimes parmi la population civile hutu.
- De 1991 à 1993, l’APR/FPR a conduit de nombreuses
attaques ouvertes et sélectives contre la population civile …
en créant des escadrons de la mort spécifiques, comme le
Network Commando.…….
- Cette même année 1994 - outre les faits
indiqués plus haut -, et également en 1995, l’APR et le
DMI se sont livrés à de nombreuses attaques massives et
sélectives contre les populations civiles, majoritairement hutu, Paul
Kagame ayant explicitement ordonné de procéder à leur
élimination (en utilisant le terme
« screening ») ; il a été
procédé à des enterrements collectifs dans des fosses
communes et à des incinérations massives de corps dans le parc
de l’Akagera ou à Nyungwe.
- Au cours des années 1996 et 1997, l’APR/FPR a
lancé des attaques systématiques contre des camps de
réfugiés hutu implantés dans l’est de
l’ex-Zaïre, éliminant des centaines de milliers de Rwandais
et de Congolais.
- En parallèle, l’APR/FPR a orchestré le pillage
de ressources minérales comme les diamants, le coltan ou l’or,
entre autres …Aujourd’hui encore, des massacres et pillages sont
perpétrés dans l’est de la République
démocratique du Congo.».
Ainsi, même si, en octobre 2014, le juge a, comme certains
l’indiquent aujourd’hui, revu son dossier
conformément à la nouvelle loi espagnole sur la
compétence universelle et a lancé de nouveaux mandats
d'arrêts[10] abandonnant les
chefs d'accusation de "génocide", "crimes, de guerre ou crimes contre
l'humanité" pour ne retenir que le crime de "terrorisme" dont ont
été victimes 9 citoyens espagnols[11]
assassinés au Rwanda, il est évident que le génocide des
hutu restera en toile de fond de la procédure puisque ces espagnols
auraient été assassinés pour être devenus des
témoins gênants après avoir assisté aux massacres
de masse perpétrés par le FPR sur la population hutu.
Les victimes hutu reviennent donc à la surface du génocide
rwandais de 1994 et plus personne ne pourra le remettre sérieusement
en question. Et, si le sujet s’y prêtait, il serait distrayant de
voir la FIDH affirmer aujourd'hui: "De fait, cette arrestation
est importante car elle s’attaque à un tabou : la part
prise par le FPR dans les violences au Rwanda et en RD-Congo. « Ce
sujet est très rarement abordé, constate Florent Geel de la
Fédération internationale des ligues des droits de
l’homme (FIDH), pourtant Paul Kagame et ses proches ont aussi commis
des exactions à grande échelle, pour lesquelles ils n’ont
jamais été jugés.
…… »[12]
Ce sujet est très rarement abordé, disent-ils ? On peut
se demander pourquoi toutes ces ONG , dont c'était non seulement la
vocation mais aussi la raison d’être, ne l'ont pas abordé
en 1993 alors qu’il était encore temps d’
éviter le pire. Avec toute l’opposition intérieure
rwandaise, ils ont préféré faire alliance avec le diable
et cosigner le rapport par trop partial cité plus haut sur les
« Violations massives et systématiques des
droits de l’homme depuis le 1° octobre 1993 - Commission
internationale d’enquête 7-21 janvier
1993 » ! En focalisant sur les crimes réels
ou supposés commis par ses adversaires, ils ont - quelques mois
seulement avant le génocide rwandais annoncé -
justifié et occulté les massacres et assassinats
passés, présents et à venir commis sur ordre de
Kagame.
[1] Un
million de réfugiés venus du Nord se sont alors entassés
aux portes de Kigali, dans le terrible camp de Nyaconga. Ils
représentaient alors 15% de la population totale du pays…et
personne n’a jamais affirmé qu’après la victoire du
FPR, ils sont tranquillement retournés chez eux, où les
populations venues d’Ouganda étaient solidement
installées depuis 92-93. Que sont-ils devenus ?
[2]
« Violations massives et
systématiques des droits de
l’homme depuis le 1° octobre 1993 -
Commission internationale d’enquête 7-21 janvier
1993 » par la LIDH,
Africa Watch, etc.
[3] Si,
à l’ouverture des débats, le TPIR a assez largement
partagé cette vision manichéenne en décrétant que
le génocide des tutsi était un « fait
judiciaire » qu’il était inutile de démontrer,
les décisions qu’ont été amené à
rendre ses différentes chambres après vingt années de
travaux sont beaucoup plus partagées.
[5] Il
se reconnaitra l’ « expert » qui, pour mieux
obtenir la condamnation des hutu et pour palier une démonstration
défaillante, ne cesse d’asséner des vérités
premières devant les Cours d’Assises à grands coups de
« bien
évidement »!
[6] Relire
l’excellent ouvrage d’Edward S. Hermann et Peterson
« Genocide et propagande » - Janvier 2012
[7]
Rwanda : la vérité serait-elle anglo-saxonne ?
02 octobre 2014
[9]
C’est nous qui soulignons, pour avoir constaté certains
massacres commis AVANT 1994 par
l’Armée Patriotique Rwandaise.
[10]
Même si aucun mandat d’arrêt n'a été
émis contre Paul Kagame à cause de sa condition de Chef
d’État en activité, le tribunal espagnol décrit
les incriminations criminelles qui pèsent sur le Général
Major.
[11] Il
semblerait, si on en croit le journal britannique The Indépendant ,
que deux citoyens britanniques ont été également
victimes de ces agissements.
[12] La
Croix du 23 juin 2015
A lire absolument. Demma
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